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« On a besoin de la pub, de la com’ et du marketing pour faire bouger la société plus vite. » Un podcast enregistré avec Mathieu Jahnich, consultant-chercheur en communication responsable

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Mathieu Jahnich est consultant-chercheur en communication responsable. Dans ce podcast, il nous explique en quoi la filière « marketing, communication et publicité » peut être au service de la transition écologique.

Mathieu est un convaincu. Il est convaincu que le marketing, la communication et la publicité ont un rôle à jouer pour faire bouger la société. Sinon, il ne ferait pas ce métier.

Il est absolument d’accord pour dire qu’il faut moins de publicités pour consommer moins.

Il croit en la publicité responsable, celle qui casse les stéréotypes des modes de vie. Pour lui, la publicité peut changer la manière dont on perçoit le bonheur, la réussite et l’image des vacances réussies.

Il croit au marketing responsable, celui qui casse les traditionnelles techniques marketing (promotion, incitation et sur-sollicitation).

Il croit dur comme fer que les enjeux liés à la communication, au marketing et à la publicité, font interroger la vraie raison d’être d’une entreprise : à quoi sert-elle ? pour quoi existe-t-elle ? quelle est la pérennité du modèle économique par rapport aux enjeux de « sustainability » ?

Et il croit que tout ceci peut marcher si la raison d’être d’une organisation et ses valeurs sont alignés aux techniques de communication et de marketing. « On ne pourra pas faire évoluer le marketing, la pub et la com, si on ne fait pas évoluer le modèle économique global dans lequel on vit et le modèle économique des entreprises« .

Bonne écoute !

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La transcription texte du podcast enregistré avec Mathieu Jahnich de MJ Conseil

Marion Duchatelet – Badsender
Salut Mathieu.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Salut Marion.

Marion Duchatelet – Badsender
Merci d’avoir pris un peu de ton temps pour enregistrer ce podcast. Ça me fait bien plaisir parce que ça fait quelques semaines que je te cours après 😉 Est-ce que tu peux commencer par dire qui tu es et ce que tu fais aujourd’hui, Mathieu ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, je m’appelle Mathieu Jahnich, je suis consultant-chercheur en communication responsable et je suis le gérant de MJ Conseil. Nous sommes un trio d’expertes et nous mettons la communication au service de la transition écologique.

Marion Duchatelet – Badsender
« Experte » ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, deux femmes, un homme. Le féminin l’emporte.

Marion Duchatelet – Badsender
Ça veut dire quoi consultant-chercheur en communication responsable ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Ça veut dire que j’accompagne les organisations publiques, les entreprises privées à intégrer les enjeux de soutenabilité à leurs pratiques communication et marketing et aussi à mettre la communication au service du déploiement de leur stratégie RSE.

Marion Duchatelet – Badsender
Tu as utilisé le terme « communication marketing ». Comment tu définis et peut-être différencies (ou pas), ces termes que sont communication, marketing et publicité ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Pour moi, la communication, c’est vraiment tout ce qui est production de contenu, quels que soient les supports. À chaque fois qu’on cherche à s’adresser à nos publics, internes ou externes. Pour le marketing, on est plus dans la définition de l’offre. C’est vrai qu’en général, dans le marketing, il y a aussi des actions de communication qui sont intégrées. Mais pour moi, quand je parle aux marketeurs, je parle aux personnes qui connaissent très bien les publics, les besoins des publics et qui sont capables de travailler avec les équipes R&D et Innovation pour définir l’offre et ensuite, comment est-ce qu’on peut la valoriser. Et pour la pub, on est vraiment sur des modalités particulières de communication où on est sur de l’achat d’espace direct ou indirect pour s’adresser à nos publics.

Marion Duchatelet – Badsender
Donc, la communication, c’est le message, le contenu du message. Le marketing, c’est via quel canal et la pub, c’est plutôt le côté média, affichage, etc. Enfin, le marketing, c’est plutôt le positionnement ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui. Pour moi, dans le marketing, il y a vraiment l’offre. C’est à dire que les marketeurs, ils font bouger l’offre. Ils jouent sur l’offre de l’entreprise. Alors que pour moi, la com, on a déjà tout ça qui a été défini et on est là pour travailler les messages, mais il y a aussi des supports. Par exemple, pour moi, développer un site web, animer un site web ou animer les réseaux sociaux, je mets ça dans l’étiquette communication. C’est pour ça que je parle de la filière « communication, marketing et publicité ». En gros, c’est la filière qui est à l’interface entre l’entreprise et ses différents publics, que ce soit à travers les produits, le packaging, etc, que ce soit avec tous les outils de communication qu’elle utilise, avec la publicité. Je travaille indifféremment avec les directions de communication, les directions marketing, les équipes publicité et bien sûr, les équipes RSE.

Marion Duchatelet – Badsender
Justement, les gens qui te sollicitent dans ces entreprises-là, c’est plutôt la direction RSE, marketing ou com ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
On a vraiment des équipes com, par exemple, qui viennent pour dire « Tiens, on entend beaucoup parler de communication responsable, qu’est-ce que c’est concrètement ? » On a des équipes marketing ou pub qui viennent en disant « Nous aussi, on veut se former, on veut comprendre quels sont les risques de greenwashing et on veut vous former, toutes nos équipes ». Et on a des équipes RSE qui viennent en disant « On veut redonner un nouveau souffle à nos stratégies ou on a une nouvelle raison d’être, etc. Mais on a du mal à embarquer tout le monde. Comment on fait ? » Et, parfois, c’est tout ce beau monde en même temps. Parce qu’on a une grosse campagne de communication sur les engagements RSE ou plutôt l’environnement. L’idée, c’est de discuter de cette campagne, de sa pertinence, etc. Donc c’est vraiment, de manière assez variée, des profils comme marketing, RSE et aussi parfois la DSI, les achats, les affaires juridiques. Oui, parce qu’ ils sont aussi concernés… Une DSI qui porte un projet de numérique responsable, elle a des enjeux de communication : « comment est-ce qu’on communique auprès de toutes les équipes en interne sur les bonnes pratiques, etc.« . Léquipe achat va se demander : « comment est-ce qu’on intègre la question de la RSE dans les achats plus responsables ?« . L’équipe juridique, ça peut être pour les questions de prévention du greenwashing en interne. Souvent, on travaille en binôme, direction juridique et direction marketing, direction pub. Ça touche quand même pas mal de directions différentes dans les entreprises.

Marion Duchatelet – Badsender
Donc, dans la communication responsable, c’est autant de communication externe qu’interne, finalement ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, on a tendance à penser « Tiens, la communication responsable, ça va être le print, on va utiliser du papier certifié, etc. » Mais en fait, c’est beaucoup plus que ça. On a, à la fois le volet message et le volet réduction des externalités négatives des actions, des outils. Et puis, c’est bien sûr en interne, en externe. Au delà de ça, la communication doit être au service de la transformation de l’entreprise, au service de la transformation de la société. Avec ces termes-là, on a plein de sujets qui intéressent à la fois les acteurs publics, les acteurs privés, les ONG, les freelances, les agences, les régies, etc. On peut toucher tous les acteurs de l’ensemble de la filière publicité, communication, marketing.

Marion Duchatelet – Badsender
Est-ce que tu pourrais nous résumer ce qui se passe au niveau réglementation ces derniers mois, justement, autour de la communication ? Qu’est-ce qu’une entreprise ne peut plus faire depuis quelques mois ou quelques semaines ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Ce qu’elle est censée ne plus pouvoir faire, parce qu’après, il y a la question de l’application de la loi. Depuis le 1?? janvier 2023, effectivement, on a un durcissement de l’utilisation de l’argument de « neutralité carbone » à l’échelle des produits et des services. Donc, normalement, les entreprises ne peuvent plus dire qu’un produit ou service est neutre en carbone, sauf si elles affichent un bilan de gaz à effet de serre détaillé sur le périmètre le plus large, si elles communiquent une trajectoire de réduction de leurs émissions et si elles sont transparentes sur les projets de compensation carbone et notamment qu’elles nous disent combien ça leur a coûté. Parce qu’en fait, il y a différents niveaux de projets de compensation. Il y a des projets de compensation qui sont très complets et très positifs vis à vis du développement durable en général, et notamment des populations locales. Et il y a des projets de compensation qui valent très peu cher et qui sont des projets industriels de monoculture qui stockent un peu de carbone, mais qui font aussi beaucoup de mal par ailleurs. Les entreprises sont censées faire tout ça depuis le 1?? janvier et on s’aperçoit que ce n’est pas le cas. On va voir si le ministère de la Transition écologique, si la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) du ministère de l’Économie et si les ONG déposent plus de plaintes. Ça envoie quand même un signal que ces sujets-là commencent à entrer dans la loi et que ce n’est pas uniquement de la morale et de l’éthique. Là, ça a été un des changements plutôt positifs de la loi Climat et Résilience, mais de la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) aussi, où on a un encadrement un peu plus strict de certaines allégations environnementales. On a un mouvement similaire qui se passe en Europe. Bientôt, on aura une nouvelle directive de protection des droits des consommateurs et ça contribue à dire aux entreprises « Attention, vous pouvez pas raconter n’importe quoi. » Ça bouge du côté de la loi et en plus, il y a de plus en plus de pression sur les réseaux sociaux. On sent que ça bouge vers plus de régulations. Ça va pas assez vite à mon goût, mais ça prend quand même la bonne direction.

Marion Duchatelet – Badsender
Tu dénonces, toi, des pubs quand tu en vois ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, j’essaie de faire ça quand j’ai le temps et quand j’en vois. Ça fait partie de mon engagement citoyen, de signaler des publicités non conformes au Jury Déontologie Publicitaire. On a un dispositif d’autorégulation en France qui présente un certain nombre de limites, mais il a le mérite d’exister. C’est pour ça que j’essaie de signaler ces publicités là. Ça permet d’avoir des cas pratiques où on a le plaignant qui explique pourquoi la publicité pose problème de son point de vue. On a l’annonceur, l’agence, les médias, les diffuseurs et l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) qui donnent leur point de vue aussi et après on a le jury qui donne son avis : publicité conforme ou non conforme. Ça permet quand même d’avoir des cas et de sortir d’une appréciation purement individuelle et d’avoir un regard un peu plus collectif sur ces sujets là. Ça permet de montrer qu’il y a encore énormément d’entreprises qui ne connaissent pas les règles déontologiques, qui ne comprennent pas les enjeux associés au greenwashing. On est plusieurs à penser qu’il faudrait une régulation beaucoup plus stricte sur ces sujets-là.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Tu penses vraiment que la publicité peut avoir réellement un impact positif ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, moi, j’en suis persuadé. Si je travaille dans ce secteur aujourd’hui, c’est que je suis persuadé qu’on a besoin de la pub, de la com et du marketing pour faire bouger la société plus vite.

Marion Duchatelet – Badsender
Je te posais cette question-là parce que pour moi, ce qui est le véritable problème, c’est plutôt le business model des boîtes. Si le business model ne change pas, la pub ne peut pas changer ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui. Il y a plusieurs choses. Je pense déjà que la première chose, c’est qu’il faut moins de pub. Il faut réduire l’exposition à la publicité. Si on veut que les Françaises et les Français consomment moins, il faut leur donner moins envie d’acheter des choses dont ils n’ont pas besoin. Donc, il faut moins de pub. Et ensuite, il faut de la publicité pour des produits et services qui sont plus responsables en travaillant sur les stéréotypes de mode de vie. C’est à dire que la publicité peut changer la manière dont on perçoit le bonheur, la réussite et l’image des vacances réussies. Est-ce que c’est forcément à l’autre bout du monde, au soleil, sous les tropiques ? Ou est-ce que ça peut être proche de chez nous ? Changer l’image des déplacements, de la mobilité, de la voiture individuelle. Quand on commence à creuser ces sujets là, bien sûr, on en vient à « Mais en fait, les entreprises, leur modèle économique, il n’est pas compatible. » C’est ça moi, qui me passionne aujourd’hui. C’est à dire qu’en rentrant par les enjeux de communication, marketing, publicité, on interroge la vraie raison d’être des entreprises. À quoi tu sers ? Pourquoi tu es là ? Bien sûr, tu crées des emplois, OK. Mais au delà de ça, quelle est la pérennité de ton modèle économique par rapport aux enjeux de sustainability ? Qu’est-ce que tu offres ? Qu’est-ce que tu apportes à la société ? Qu’est-ce que tu apportes aux gens ? On ne pourra pas faire évoluer le marketing, la pub et la com, si on ne fait pas évoluer le modèle économique global dans lequel on vit et le modèle économique des entreprises.

Marion Duchatelet – Badsender
Elles réagissent comment face à ça, les entreprises d’aujourd’hui ? Quand tu les interroges en disant « Il faut des nouveaux récits, mais les nouveaux récits, vous, vous n’avez rien à raconter. Vous n’êtes pas encore prêts.»

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Alors, les entreprises qui viennent à nous, elles sont plutôt engagées, elles ont des choses à raconter. C’est à dire qu’elles font les choses, elles essaient de se transformer, elles ont compris qu’il y avait des enjeux et elles butent parce qu’elles se disent « Mince, comment est-ce que je valorise ce que j’ai fait sans faire du greenwashing comme mes concurrents ? Comment est-ce que j’embarque tout le monde ? Comment est-ce que j’arrive à avoir une posture humble et sincère pour faire comprendre que je me transforme et que la transformation ne va pas se faire du jour au lendemain et que pour ça, j’ai besoin de garder la confiance et j’ai besoin que des clients continuent à acheter nos produits afin de nous encourager à changer. » Donc effectivement, aujourd’hui, les entreprises qui viennent nous voir sont plutôt en train de changer et veulent accélérer. Mais c’est encore la minorité. On a encore beaucoup d’entreprises qui ont compris qu’il se passait des choses et elles ont le sentiment qu’effectivement, en changeant de récit, en faisant un nouveau storytelling, en disant « Oui, regardez, on intègre du plastique recyclé provenant de déchets ramassés dans les océans et ça y est, on peut continuer à vous vendre toujours plus de vêtements en vous expliquant plus qu’en achetant le vêtement, vous allez protéger les océans. » Le problème, c’est qu’ ils ont compris en superficie, mais ils n’ont pas compris la réalité des enjeux et les difficultés dans lesquelles on va se retrouver très rapidement.

Marion Duchatelet – Badsender
Toi, tu accompagnes jusqu’à changer le business model, donc changer le positionnement marketing ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Nous, on pose les questions, on soulève les problèmes et après, c’est aux marques de faire leur travail. C’est à dire que très souvent, c’est « On aimerait bien dire ceci ou on a prévu de dire cela. » Et nous, on leur dit « Attendez, si vous vous exprimez comme ça, on a besoin de tels éléments de preuve. Ou alors, tant que vous ferez ça par ailleurs, vous ne serez pas crédible. Donc, changez d’abord ça avant de communiquer là dessus. » Et souvent, c’est parler de certains sujets qui vont devoir nécessiter de la maturation, de la réflexion et une transformation profonde de l’entreprise. Mais disons que nous, on est là aussi pour aborder tous ces sujets. Dans la société civile, on a des personnes qui sont très engagées, voire activistes. C’est la même chose dans les entreprises, surtout dans les grands groupes. Dans les grands groupes, aujourd’hui, on a des salariés qui sont très sensibles, très engagés, voire radicaux. Et comment est-ce qu’on parle à ces personnes ? Comment est-ce qu’on ouvre la parole ? Comment est-ce qu’on discute ? Comment est-ce qu’on leur fait comprendre qu’on essaie de se transformer ? Donc, il y a un gros travail de dialogue et d’écoute en interne. Et ça, c’est la com responsable. C’est discuter en interne sur l’avenir de l’entreprise, à quoi elle sert, ce qu’elle apporte à la société. Et concrètement, comment ça va nécessiter de se transformer. Ça, on a besoin de le faire en interne. Mais c’est des sujets sur lesquels on n’intervient pas forcément. Mais en tout cas, nous, à un moment donné, quand on vient nous voir en nous disant « On a prévu telle campagne de pub » et qu’on leur dit « Attention, là, si vous dites ça, vous allez vous faire aligner. Et il n’y a pas de reformulation possible parce que ce n’est pas cohérent avec votre modèle d’affaires et ce que vous dites n’est pas crédible. » Donc parfois, ils repartent un peu avec leurs bagages en disant « Effectivement, c’est un peu trop tôt. » Mais, est-ce qu’ils sont capables ou pas de se transformer ? Est-ce qu’ils vont le faire ? À quel rythme ? Ça, c’est un autre sujet. Mais ce qui est assez appréciable, c’est qu’ on vient nous chercher et souvent, on nous dit « Dites-nous sans filtre ce que vous pensez. » Ça veut bien dire qu’il y a le côté « Allez-y » Ça, je l’ai eu à plusieurs reprises. C’est « Ne nous ménagez pas. On n’est pas là pour ça. On est là pour entendre comment nos messages peuvent être reçus.« 

Marion Duchatelet – Badsender
Donc, ils ont une envie d’être bousculés.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, parfois, ça pique un peu. Mais c’est le principe.

Marion Duchatelet – Badsender
Tu dois provoquer de grosses prises de conscience chez les gens.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, c’est intéressant parce que nous, on est dans notre rôle. Les entreprises, c’est parfois des grands groupes qui ont déjà leurs agences, qui parfois sont engagées. Mais nous, on apporte un regard beaucoup plus pointu et peut-être avec une plus grande vision des enjeux. Et ça permet de dire certaines choses qu’une agence ne pourrait pas dire. Parce que l’agence, après, elle doit soigner le relationnel avec le client sur du plus long terme. Alors que nous, on intervient ponctuellement. Et donc, on peut se permettre de dire les choses et de mettre les pieds dans le plat. Ce qui est intéressant, c’est quand les entreprises nous disent dès le départ « Allez y, on est là pour ça… ».

Marion Duchatelet – Badsender
C’est vrai que ce qui est compliqué pour une agence, et c’est notre cas chez Badsender, c’est que notre rôle premier, c’est d’accompagner dans l’envoi d’emailing.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Si on prend l’exemple de l’emailing, tu pourras dire à un client « Non, mais là, il y a trop de contenu. » ou « Vraiment, vous êtes sûr que vous voulez pousser ce message-là ? » Mais après, c’est ton client, donc il faut bien le faire. Alors que nous, en étant à l’interface, entre ton client et son équipe, nous on peut dire « Vraiment, pour la prochaine fois, pensez à faire ceci ou cela ». C’est plus confortable à la fois pour toi, pour nous, parce qu’on reste dans notre posture, et pour le client, parce qu’il peut entendre. Ce jeu en triangle, je le trouve assez pertinent parce que ça permet à chacun de garder sa place et d’aborder des sujets frontaux sans mettre en péril la relation client/ prestataire.

Marion Duchatelet – Badsender
Quand l’entreprise est amenée à changer de business model, ça peut amener une entreprise à augmenter ses prix. Les citoyens sont devenus promo addicts. Les entreprises, par conséquence, sont devenues aussi promo addicts. Elles font des campagnes de promotion tout le temps. Et, parfois, je suis face à des personnes qui me disent « Oui, mais nous, on a toujours fait des promos et je ne vois pas ce qu’on peut raconter d’autre. » Elles sont conscientes du problème, mais elles sont paumées, elles ne savent pas quoi raconter. Comment on fait pour lutter contre ça ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Il y a deux choses. Il y a déjà l’idée reçue, qui parfois est vérifiée, qu’un produit ou service plus responsable est forcément plus cher. Ça, ça pose question. Parce que, ça veut dire qu’on met de côté toute une partie de la population qui ne pourra jamais acquérir des produits bio ou des produits certifiés ou fabriqués en France, etc. Là, ça pose vraiment la question de la capacité des entreprises à transformer leurs offres et sans forcément augmenter les prix. Et à côté de ça, avoir une politique gouvernementale d’aide, d’accompagnement des personnes qui sont les plus fragiles. On a des cas d’entreprises qui arrivent à transformer leurs offres en mieux et sans forcément augmenter les prix. Parce que ce qu’on peut payer plus cher d’un côté et on peut réduire de l’autre. Il y a des exemples. Et après, ta deuxième question, c’est plutôt cette addiction aux promos. Et là, oui, la promo, en général, ça sert quand même à déclencher un achat qui n’était pas pensé, qui n’était pas souhaité. On est là pour déclencher l’impulsion d’achat. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des personnes qui attendent les soldes pour acheter le produit dont elles avaient besoin. Mais pour la plupart des gens, et moi, je le vois bien quand je reçois un email promotionnel, il y a ce côté « C’est une bonne occasion » qui nous incite. Après, on se dit « Mais en fait, est-ce que j’en ai vraiment besoin ? ». Et puis, une fois la promo passée, on n’est pas plus mal parce qu’on n’a rien acheté. Il y a vraiment ce côté d’incitation à la sur-consommation dans la plupart des cas. Donc, un business model plus responsable devrait pouvoir exister sans ça. Ça veut dire qu’on doit avoir un business model qui ne fonctionne plus sur de la vente de produits ou services en volume : toujours plus de volume, toujours moins cher. Mais un business model qui est suffisamment solide pour vendre moins, mais mieux. Peut-être que les gens vont acheter moins de produits et services, mais vont être d’accord pour payer un peu plus cher. C’est là qu’on peut résoudre aussi l’équation. Là, on est dans une phase d’inflation, c’est compliqué. Mais, si je me dis « J’achète moins de fringues, mais je mets un peu plus d’argent parce que je suis sûr que le produit est de meilleure qualité et qu’il est fabriqué dans de meilleures conditions et éventuellement en France ». Je pense que tout le monde peut y gagner.

Marion Duchatelet – Badsender
C’est ça le problème. C’est qu’en fin de compte, pour penser comme ça et pour agir comme tu viens de le dire, il faut quand même avoir une certaine trésorerie.

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Mathieu Jahnich – MJ conseil
Ça demande une bascule du chiffre d’affaires, ça demande une bascule de l’activité et ça, c’est compliqué. Ça, c’est sur l’aspect vente. Et après, il y a passer sur d’autres modèles, c’est à dire passer sur de la location, aller vers plus de circularité, etc. Là, effectivement, on voit des grandes entreprises qui commencent à changer leur modèle d’affaires. C’est Decathlon qui a mis en place la location en Belgique, par exemple. En fonction de l’abonnement, vous pouvez louer jusqu’à tant d’objets, d’articles de sport, chaque mois, etc. Et financièrement, ce modèle-là est beaucoup plus rentable. Mais il faut tout transformer. Il faut transformer la manière dont on conçoit des produits, il faut que ce soit des produits qui soient encore plus robustes, réparables, etc. Il faut changer les méthodes de communication. Il faut changer aussi les réflexes de consommation pour inciter à rapporter les produits. Ça veut dire qu’il faut un endroit pour les récupérer, les reconditionner, etc. C’est une transformation qui est complète de la manière de conduire leur activité. Et ça, ça prend du temps. Et ça ne doit pas se faire au détriment de la soutenabilité économique de l’entreprise. Sinon, on met des gens au chômage, etc. C’est pour ça qu’il y a une bascule à faire. Tout comme nous, on a une bascule à faire à l’échelle individuelle, à passer vers une alimentation moins carnée, à passer vers des déplacements plus sobres, etc. L’entreprise, elle a à faire ça aussi. Et là, il y a un enjeu sur les outils marketing.

Marion Duchatelet – Badsender
Oui. La bascule qu’elle fait, elle, en interne, en créant des nouvelles offres, il faut qu’elle arrive en même temps à embarquer ses clients vers ça. C’est là qu’on a besoin du marketing, de la com.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
C’est ça, mais il faut que ces techniques marketing soient renouvelées aussi. Parce que ça n’a pas de sens de vendre une offre qui est plus responsable, que ce soit parce qu’on a fait de l’éco-conception du produit ou service, ou parce qu’on passe vers davantage de services de location, de deuxième main, en utilisant des techniques marketing traditionnelles. Si on bombarde le public d’emails promotionnels, ça ne peut pas aller. Parce que là, les gens se disent « Attendez, il me propose quelque chose qui est censé être plus responsable mais ils continuent à m’inciter à en acheter toujours plus et à me bombarder des messages. » Donc, il faut réinventer aussi les techniques marketing.

Marion Duchatelet – Badsender
C’est intéressant ce que tu dis. C’est à dire que des techniques marketing comme, par exemple, le bien connu « abandon de panier« , n’a plus de sens si tu es en train de transformer ton modèle. Il y aurait une incohérence entre le message que tu fais passer et le modèle que tu es en train de transformer.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Clairement. Quand on prend une marque comme Fnac-Darty, qui fait des efforts pour faire davantage de reconditionnés. Leur démarche a été primée par la plateforme « Réussir avec un Marketing plus Responsable ». Donc, c’est une démarche qui est reconnue par les professionnels du secteur comme étant innovante, prometteuse et à succès. Mais à côté de ça, on reçoit toujours des emails promo de Darty disant « -40% pendant une semaine ou pendant trois jours, allez y, il n’y a que quelques pièces ». On voit bien que l’entreprise présente encore deux faces. Une face plus responsable où il y a une conscience des enjeux et où on veut bouger les choses et se transformer. Et à côté, il y a toujours le modèle d’affaires traditionnel, historique, qui continue à utiliser des outils conventionnels, qui existe toujours et qui est d’ailleurs largement majoritaire. C’est normal, mais ça interroge.

Marion Duchatelet – Badsender
C’est une histoire de trajectoire. Il faut qu’il y ait une trajectoire à la baisse pour tout ce qui est promo et une trajectoire à la hausse pour l’éditorial.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, ça doit se croiser et c’est cette bascule qui est compliquée à faire pour les entreprises. Si on va trop vite, on risque de mettre en péril l’équilibre financier et l’entreprise risque de fermer. Et si on le fait trop lentement, on ne contribue pas à la transition, à la hauteur du rythme des enjeux.

Marion Duchatelet – Badsender
En plus, le fait d’avoir un double discours, ça peut s’apparenter à du greenwashing alors que le fond peut être sincère.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
C’est ça. C’est à dire qu’ on saisit tout le paradoxe et la difficulté de la transformation d’une entreprise de cette taille là.

Marion Duchatelet – Badsender
D’après toi, est-ce qu’une marque peut faire tantôt un email d’information, d’éducation et tantôt un email promo et on rebascule sur de la pédagogie ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
J’ai le sentiment qu’il faudrait arriver à avoir dans une même newsletter, pas forcément de la promo au sens « -30%« , mais plutôt un discours pour valoriser les produits et services qui sont proposés. Mais à côté de ça, avoir aussi une posture et une démarche de pédagogie, voire d’ouverture à d’autres personnes, à des partenaires, etc. C’est à dire que dans une newsletter, on ne doit pas avoir uniquement des incitations à acheter, mais aussi des informations sur la démarche, les difficultés rencontrées. Et pourquoi pas aussi des contenus qui sont plus larges sur les enjeux ou sur le milieu dans lequel évolue l’entreprise.

Marion Duchatelet – Badsender
J’ai toujours tendance à dire « Prônez la transparence. Dites que vous avez certes besoin de vendre vos produits pour assurer les centaines ou les milliers de salariés mais achetez seulement si vous avez extrêmement besoin, si c’est un besoin essentiel. » Mais est-ce que le fait d’être aussi transparent, ce n’est pas dangereux pour l’entreprise ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Je pense que le principal risque, c’est de ne pas être crédible. C’est à dire qu’aujourd’hui, il y a très peu de marques qui peuvent dire « N’achetez pas nos produits »ou « Achetez nos produits que si vous en avez besoin. » C’est vraiment un sujet et là, ça nécessite de bien connaître ses consommatrices et ses consommateurs pour savoir justement comment est-ce qu’on peut avancer, se transformer avec elles et eux. C’est vraiment pas évident.

Marion Duchatelet – Badsender
Les entreprises qu’on a interrogées pour l’instant dans ce podcast, elles ont tout un point commun, c’est d’écouter leurs clients et de les interroger sur leurs besoins. Il y en a qui vont jusqu’à demander « On va créer un pull. C’est quoi le pull idéal pour vous ? » Ce qui est génial dans cette pratique, c’est que le brief de production, il est fait par les contacts. Je ne sais plus où je voulais en venir en disant ça…

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Mais c’est un peu la base d’écouter le dialogue avec les parties prenantes au sens large et notamment les consommatrices et les consommateurs.

Marion Duchatelet – Badsender
Oui, voilà. C’est ce que je voulais dire. C’est que, quand t’as un modèle d’entreprise qui, historiquement, dit « La force chez nous, c’est les petits prix. », comment tu fais ? Dans le secteur de la mode, il y a plein de marques type « milieu de gamme » qui sont en train de se casser la gueule, Kookaï, San Marina, etc. Alors que Shein, Primark, marchent plutôt bien. Et, il y a les nouvelles marques vertueuses comme Asphalte, Loom, etc, qui sont en croissance. J’ai l’impression qu’on crée une fracture sociale.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Bien sûr, le coût de la vie est en train d’augmenter. Quand on fait les courses, on voit bien que tout augmente. Donc bien sûr, c’est plus difficile. Maintenant, on a des familles aussi qui sont capables d’investir dans un abonnement téléphonique ou dans des appareils qui peuvent coûter cher. C’est juste qu’il y a un report. Effectivement, on va dépenser moins sur l’alimentation pour en garder plus sur les loisirs, si tant est qu’il en reste. Je crois qu’il y a 30% des familles qui font leurs courses à 10 € près. Il faut relativiser ça, c’est sûr. C’est là aussi que la publicité a une responsabilité, et la communication et le marketing au sens large. Dans les stéréotypes autour des vêtements, justement. Le fait que quand on va à l’école ou quand on va au travail, on a peur d’être mal vu si on met les mêmes vêtements trois jours d’affilée. Il faut changer tout le temps. Un vêtement, il n’est pas sale, à moins qu’on fasse tomber quelque chose dessus, mais en général, il ne se salit pas. Je ne parle pas des sous-vêtements, mais en tout cas, un pull, un jean, on peut le garder trois ou quatre jours sans problème. Donc si on arrive à changer les normes sociales, on aura moins besoin d’acheter plein de vêtements. Là aussi, il y a les marques qui ont un travail à faire pour garantir qu’on puisse avoir des vêtements qui durent plus longtemps. Et après, il y a un enjeu qui est particulier pour les enfants, parce qu’ils grandissent. Donc, on a besoin de changer régulièrement. D’où peut-être des offres de location qui pourraient être intéressantes. Après, moi, je suis assez favorable à une sorte d’accès gratuit à tout un tas de biens essentiels. L’eau, l’énergie, les transports et pourquoi pas les vêtements et bien sûr les produits d’hygiène du quotidien, pour les femmes, les protections menstruelles, etc. Tout un tas de produits essentiels au quotidien qui soient payés par la collectivité. Ça permettrait de dire « Il y a la base en vêtements qui est fournie, où vous avez des chèques pour acheter des vêtements. Et ensuite, vous pouvez aller plus dans le confort. » Mais c’est vrai qu’il y a ce côté pratique d’acheter plusieurs vêtements pour assez peu d’argent et habiller son gamin. C’est quand même très, très pratique. Et ça, ça fait partie un peu des paradoxes aujourd’hui. C’est qu’on a tous envie de faire mieux, de préserver l’environnement et d’être moins impactant sur le vivant en général. Et à côté de ça, on a notre quotidien, on a nos habitudes.

Marion Duchatelet – Badsender
Oui. Parfois, tu es pris dans ton quotidien. Tu te dis « Purée, il me faut ça pour demain. » Si tu loues, il faut anticiper, faire plus de démarches, il faut plus de temps.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
C’est l’ensemble du système qui doit évoluer. Surtout quand on doit réparer un produit qui ne marche pas. Si je n’ai pas de réparateur à proximité, c’est tellement plus simple d’aller dans un magasin, de déposer le produit, puis d’en acheter un neuf. Et puis parfois, le commerçant nous le dit : « Mais pourquoi vous cherchez à réparer ce produit là ? Achetez un neuf, ça va vous coûter moins cher et puis vous l’avez tout de suite. » On est dans un système qui n’encourage pas la sobriété au sens large. Et dans ce système là, on a la pub, le marketing et la com, dont la mission première est de nous donner envie d’acheter, de tout nous simplifier et de modeler les représentations sociales, les normes sociales, etc.

Marion Duchatelet – Badsender
En tout cas, ce qui est intéressant dans ce que tu dis, c’est qu’il y a certaines croyances à casser et d’autres messages à communiquer. Du coup, il y a quand même une certaine force du département marketing et communication dans une entreprise qui peut avoir un gros pouvoir d’influence sur la direction et par conséquent, sur le modèle économique, le changement de modèle. Ça, je trouve ça hyper intéressant parce que souvent, la réputation de la com ou du marketing est très mauvaise. Et se dire qu’on peut s’en servir pour tirer tout ça vers le haut, c’est chouette.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
En fait, les enjeux de soutenabilité et le développement du marketing, de la com’, de la publicité plus responsable, ça redonne un rôle plus stratégique à ces fonctions là dans l’entreprise. Et ça redonne aussi du sens aux personnes qui travaillent dans ces fonctions là. Parce que déjà, il y a un besoin d’expliquer en interne et, notamment à la direction générale, ce qui se passe du point de vue de la transformation de notre société, en particulier à cause des grands enjeux écologiques, d’expliquer les attentes de la société civile et notamment des consommatrices et des consommateurs de la marque. Ça, c’est le rôle du marketing et de la com’ de faire ça.

Marion Duchatelet – Badsender
Est-ce qu’on peut être directeur marketing ou com aujourd’hui, sans avoir de compétence climat ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Non, et pas que climat. Parce qu’aujourd’hui, effectivement, on voit une sensibilité particulière vis à vis des enjeux climatiques et c’est très important. Mais il ne faut pas se limiter à la décarbonation d’une entreprise industrielle. Il y a des enjeux de biodiversité, de santé et pollution, il y a des enjeux d’extraction des matières premières, de précarité énergétique, alimentaire, de mobilité. Il y a des enjeux de justice sociale. Et donc, tous ces enjeux-là, il faut les avoir en tête. Parce que si on a une politique de transformation qui est uniquement avec un indicateur carbone, on va avoir des records de pollution et on va se planter. Donc oui, il faut des compétences sur les enjeux écologiques au sens large, pour pouvoir ensuite intégrer ça et en discuter, ne serait ce qu’en interne, et intégrer ça au modèle d’affaires de l’entreprise.

Marion Duchatelet – Badsender
Il y a des directeurs marketing qui sont à l’ancienne et qui n’ont pas du tout ça en tête. Et il y en a d’autres qui s’auto-forment tout seul, parce qu’ils ont une prise de conscience ou vécu un élément déclencheur, plus tôt que le directeur. Ça peut aussi venir d’une personne plus radicale dans l’entreprise. Donc, ceux qui sont radicaux, il ne faut pas qu’ils aient peur de s’exprimer dans une entreprise qui ne l’est pas.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, mais il faut que l’entreprise leur donne la possibilité de s’exprimer. J’apporterai une nuance sur le fait que pour moi, ce n’est pas une histoire de génération. On a des patrons d’entreprises qui sont âgés et très conscients des enjeux et font bouger leur entreprise et leur écosystème. On a inversement des jeunes qui montent des boîtes sur des modèles du passé. Et dans la société civile, comme dans l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs de tous âges, de toute catégorie sociale. On a des gens qui sont sceptiques ou qui s’en moquent, et d’autres qui sont sensibles, voire engagés, voire activistes, quel que soient les catégories d’âge et les catégories socio professionnelles. Oui, je pense qu’un des enjeux pour les entreprises aujourd’hui, c’est d’ouvrir le dialogue sur ces sujets là. Parce que quand on est dans une boite, quelle qu’elle soit, mais qui est sur un modèle du passé, qui n’est pas compatible avec les enjeux, il y a forcément des gens qui reçoivent des critiques, il y a forcément des gens qui se posent des questions et qui s’interrogent. Et à un moment donné, ouvrir le dialogue, être clair sur la stratégie, les enjeux, ça devrait permettre de garder ces personnes là et peut être en attirer de nouvelles.

Marion Duchatelet – Badsender
Suite aux différents différents épisodes qu’on a enregistré, il y a des entreprises qui ont un alignement parfait entre leurs convictions, leur com et leur marketing. Certains se disent « Je suis tellement consciente, j’ai tellement de convictions que je ne veux pas donner de l’argent au GAFAM. » Ils vont plutôt croire en la puissance des mots et des visuels, etc. Et d’autres, sont encore tiraillées par les techniques marketing actuelles : le sponsoring, les campagnes sur les réseaux sociaux, une newsletter tous les 2 jours. Ils vont parler tous les 2 jours de leurs produits qui sont plus vertueux que la concurrence parce qu’ils sont mieux faits. Mais, n’empêche, est-ce qu’on peut encore surfer sur les anciennes techniques marketing même si notre modèle est plus vertueux ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, c’est effectivement un souci. On a aussi des boites qui sont très engagées, et qui sont persuadées que leurs produits sauvent la planète et qui le disent presque comme ça. Effectivement, pour ces entreprises qui ont construit tout leur modèle autour d’un sourcing, process et une localisation pour être le moins impactant possible, elles ont tendance à appliquer des techniques marketing, communication et publicité de l’ancien monde. Parce que c’est aussi ça qui marche. Là, il y a un enjeu. C’est comment est-ce qu’on arrive à être efficace tout en ayant des techniques de communication ou des techniques commerciales qui soient plus responsables ? Ça veut dire aussi avoir conscience des enjeux. Là, on en revient à la question de la formation. Quand on comprend que ces grandes plateformes, si elles sont super efficaces, c’est aussi parce qu’elles sont ultra dominantes et qu’elles pillent nos données et qu’elles les exploitent. Quand on les utilise, on cautionne ce système. À un moment donné, c’est se poser la question « Est-ce que je peux faire différemment ? » Il y a des boites qui vont dire « Non, parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour me développer. » Mais en tout cas, il faut déjà se poser ces questions là. Et il y a plein de boîtes qui ne veulent pas regarder ces sujets là. Parce que c’est tellement facile et ça a tellement de résultats.

Marion Duchatelet – Badsender
Ils sont persuadé que c’est le seul moyen de fédérer une communauté facilement.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Ça pose la question du rythme de développement : à quel rythme est-ce qu’on veut se développer ? Est-ce qu’on veut absolument croître très vite ou est-ce qu’on prend le temps ? Il y a quand même des études qui montrent qu’il y a plus de 80% des boîtes qui pourraient disparaître sans que les gens s’en soucie. Donc la question des communautés, je ne suis pas sûr qu’elles tiennent dans le temps si c’est une communauté qui a été construite à base d’emails promotionnels. Donc, il y a la question de quelle communauté je construis et est-ce que je prends le temps de la bâtir et d’avoir de vraies relations et une vraie écoute ? On pourra voir des entreprises qui disent « Oui, effectivement, j’utilise encore 80% de mes investissements publicitaires sur les GAFAM. Et j’utilise 20% sur une petite communauté local » ou « J’essaie d’investir 20% ». Encore une fois, c’est une histoire de trajectoire. Je baisse tout doucement, mais je reste à la hauteur. Est-ce qu’ils sont engagés dans cette trajectoire là ? Il y en a plein, je ne pense pas. Parce qu’ils s’arrêtent à leurs process, à leurs produits, à leurs services et qu’ils n’ont pas réfléchi sur la responsabilité même de leurs activités marketing, communication et pub. Donc, ils prennent ce qui est là, ce qu’on leur a dit qui fonctionnait. C’est tout l’enjeu, justement, aujourd’hui, de questionner ça aussi. En termes de cohérence, une marque qui se veut engagée, elle ne peut pas faire comme toutes les autres marques et nous bombarder de messages. Elle doit réfléchir à faire autrement.

Marion Duchatelet – Badsender
Tu es prof ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, j’enseigne.

Marion Duchatelet – Badsender
Moi aussi, j’enseigne. J’enseigne toujours le canal email dans des écoles de commerce et j’essaye d’en parler avec beaucoup de franchise. C’est quoi leurs réactions quand tu leur parles de tout ça ? Ils sont anxieux ? Ils sont dans le déni ? Ils sont fatalistes ? Moi, ils sont fatalistes. Les étudiants que j’ai en face de moi sont majoritairement des alternants qui ont déjà un pied dans l’entreprise. Et ils me disent « De toute façon, on est foutus Madame… »

Mathieu Jahnich – MJ conseil
J’ai un module qui est optionnel à Sciences Po et j’ai des gens qui viennent de Master Marketing et de Master Communication. Ils choisissent mon module sur le marketing et la com’ plus responsable. Donc, ils sont convaincus. Par contre, ils sont eux aussi en alternance et c’est vrai qu’ils me disent « Je fais mon alternance là et après je vais ailleurs. » Parce que c’est bullshit, parce que le modèle ne change pas. Il y a beaucoup de questionnements sur « Mais est-ce qu’on peut vraiment avoir un marketing et une communication plus responsable ? » Et on voit la puissance du modèle économique dominant, du système dans lequel on est. Je ressens que c’est compliqué pour elle et pour eux de se dire « Tiens, je vais avoir du sens. » Il y en a pas mal qui se disent « Je vais aller dans le public ou je vais aller dans les ONG ». Après, il y a la question de « Est-ce qu’on peut faire bouger le système de l’intérieur ? » Je pense qu’il y en a quelques uns qui vont rester dans leur entreprise parce qu’ils se disent « C’est là que je vais être le plus utile ». Mais, je ne sens pas de défaitisme, peut-être parce que c’est un public particulier.

Marion Duchatelet – Badsender
Quand ils te demandent où est-ce qu’ils doivent travailler, tu as une réponse ou non ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Non, mais là, j’explique les avantages et les inconvénients. On peut être dans une ONG, avoir du sens, mais avoir un management qui est horrible, parce que ça arrive aussi. On peut être dans une boite qui vend des pots de yaourt, mais essaie de se transformer et ça peut être aussi super intéressant. On peut être en agence et il y a des agences qui sont à différents degrés d’engagement, etc. Donc, on peut faire sa part. On peut être dans une administration, dans une collectivité territoriale. Moi, je leur dis « Mais justement, profitez-en ! Cherchez à expérimenter, passez des coups de fil et renseignez-vous pour savoir à quoi ressemble le métier des gens dans les entreprises qui vous intéressent ou des organisations qui vous intéressent.« 

Marion Duchatelet – Badsender
Moi, j’ai même déjà eu des étudiants qui m’ont dit « J’ai envie d’arrêter cette école de commerce parce que je m’y retrouvais plus. Mais, mes parents ne veulent pas, ils veulent que j’aille jusqu’au bout. » Il y a une certaine pression des parents parce qu’ils ont investit parfois quelques milliers d’euros pour cette école de commerce.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
C’est sûr que c’est compliqué. Il faut arriver à se détacher un peu de cette pression là et ça viendra certainement avec le temps. Mais ce n’est pas simple. On voit qu’ il y a quand même une urgence à transformer la société et la plupart des entreprises sont quand même en retard.

Marion Duchatelet – Badsender
Je vais avoir une dernière question Mathieu et après, je vais te laisser vaquer à tes occupations. Est-ce que tu as des entreprises qui t’inspirent dans leurs moyens de communiquer ou qui ont vraiment réussi à faire une bascule ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui, dans le secteur de la mode. On en a parlé avant l’enregistrement, l’entreprise Loom, qui pour moi est très inspirante à la fois dans le modèle d’affaires, la posture militante pour transformer le secteur de la mode et puis qui se traduit dans la communication et notamment dans les newsletters. Moi, j’adore quand ils racontent leur histoire, les difficultés qu’ils rencontrent, comment ils essaient de s’améliorer, etc. Ça, je trouve ça vraiment inspirant. C’est aussi possible parce que c’est une petite structure qui se développe.

Marion Duchatelet – Badsender
Oui, mai pourquoi « les petites » ? On en revient toujours au même ?

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Ils vont certainement se développer, mais ça ne sera jamais un mastodonte de la mode. Ce n’est pas leur finalité. Mais en tout cas, on peut avoir une relation. Elle nous aide à mûrir ces questions, sur notre rapport aux vêtements et à mieux comprendre aussi les difficultés que peut rencontrer une entreprise.

Marion Duchatelet – Badsender
Oui, et je trouve aussi que ça aide à nous rendre compte que tu peux agir à ton échelle en créant ta boîte. Mais il y a un moment donné où ton impact, il a une taille limitée. Et si tu veux changer les choses en profondeur, ça passe par un changement systémique. Et ce qui est intéressant, je trouve, c’est que ces entreprises vont prendre de leur temps pour essayer de faire bouger les lois. Alors qu’elles sont petites, qu’elles doivent suivre leur trésorerie, j’imagine, au mois le mois et que ce n’est pas facile. Mais elles sont tellement convaincues, qu’elles vont prendre du temps bénévolement pour essayer de faire changer des lois en créant des assos. Elles vont jusqu’au bout.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Oui. Et il y a un autre modèle que j’aime bien, c’est celui de la coopérative. C’est encore un modèle d’entreprise différent. C’est la coopérative Commown qui propose de la location de matériel informatique ou de téléphone. Et sur la partie smartphone, vous pouvez louer un fairphone. Sur leur site, à côté du bouton « Louer » il y a un bouton « En ai-je besoin ? ». J’ai fait l’expérience parce que j’étais prêt à souscrire un abonnement et j’ai cliqué sur « En ai-je besoin ? ». Et effectivement, mon téléphone fonctionne encore. Il est vieux, mais il fonctionne encore. Tant qu’il fonctionne, je n’ai pas besoin de passer à la location, même si la location, c’est super et même si un fairphone, c’est beaucoup mieux que d’autres téléphones. Ça revient à la question que tu posais tout à l’heure sur les entreprises qui proposaient des premiers services qui étaient mieux. Mais en voilà une qui adopte de meilleurs services mais qui n’adopte pas les techniques commerciales classiques et qui vous dit « Prenez votre temps. Ça y est, vous nous avez repéré. Le jour où vous avez besoin de nous, vous viendrez nous retrouver ».

Marion Duchatelet – Badsender
C’est marrant parce que j’ai interrogé Marion Graeffly de Telecoop qui m’a recommandé aussi Commown. Je vais aller sonner à leur porte alors. Merci beaucoup Mathieu.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
Merci à toi Marion.

Marion Duchatelet – Badsender
Encore une fois merci pour temps qui est si précieux. À bientôt.

Mathieu Jahnich – MJ conseil
À bientôt. Au revoir.

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